Un conte littéraire baroque
Princesse Camion, écrit par Mlle de Lubert, figure parmi les nombreux contes littéraires du XVIIe et XVIIIe siècle compilés par le chevalier de Mayer dans Le Cabinet des fées, important recueil de quarante et un volumes. Ecrit vers la fin de l’époque baroque, ce conte regorge de descriptions et d’ornementations autant dans l’histoire que dans le style. La structure est alambiquée, les aventures extravagantes. Le récit déborde de merveilleux. Les éléments et les événements s’entremêlent, jusqu’à ce que chacun retrouve finalement sa place dans un dénouement heureux.
Sous cette forme très littéraire, on retrouve une solide base de contes traditionnels. C’est l’époque où, à l’instar de Perrault, on met par écrit les contes populaires de tradition orale. Les auteurs les ornent et les adaptent à leurs goûts littéraires pour les faire entendre dans leurs salons.
Pourquoi ce texte ?
Si ce conte a retenu notre attention, c’est grâce à son titre. Deux mots qui renvoient à deux imaginaires complètement opposés, aux clichés du féminin et du masculin: la préciosité à l’eau de rose de la princesse associée à la virilité rutilante du camion. Au-delà de cette antonymie, nous étions étonnés de retrouver le terme « camion » dans un ouvrage du XVIIIe siècle. Là encore, il y avait opposition: la princesse, figure intemporelle, et le camion, objet de la modernité. Dès les premières pages, le malentendu se dissipe. Le camion de ce texte n’est pas anachronique, il n’est pas énorme, bruyant, et monté sur quatre roues, il ne crache pas de fumée noire. Princesse Camion est une toute petite poupée d’émail qui parle. A cette époque, au milieu du XVIIIe siècle, le terme « camion » désignait de petits objets: petites fioles ou petites épingles pour attacher les toiles fines.
Si l’antonymie si plaisante de ce titre n’est qu’un malentendu pour les lecteurs du XXe et du XXIe siècle, le texte n’en est pas moins décalé, surprenant et rempli d’oppositions, à commencer par Princesse Camion elle-même. Elle est condamnée à être le jour une petite poupée d’émail à la surface de la terre et, la nuit, une femme à corps de baleine enfermée dans une grotte de cristale.
Un texte aussi baroque est un régal à la lecture. Mais aurait été impossible de le rendre tel quel à l’oral. Nous en avons donc gardé la structure et avons adapté le texte pour le théatre et pour retrouver la forme orale des contes qui sont à l’origine de ce récit.
L’histoire
Lorsqu’elle s’est penchée sur son berceau, la fée Lumineuse a promis au prince Zirphil, son protégé, une destinée heureuse avec une ravissante épouse: Princesse Camion. Mais au même moment, la fée Marmotte, la fée noire, promettait le même avenir à son neveu, le Roi des Merlans.
Les deux fées font donc un pacte. Si Princesse Camion est trempée tous les jours dans un puits jusqu’à ses treize ans, elle épousera le prince Zirphil et connaîtra une vie de bonheur et d’émerveillement. Si cette condition n’est pas scrupuleusement respectée, elle partagera la vie du Roi des Merlans, affreux tyran à tête de poisson. Princesse Camion se baigne tous les jours dans le puits derrière chez elle. A douze ans, elle est devenue une jeune fille magnifique. Se voyant bientôt vaincue, la fée Marmotte intervient. Un matin, elle mord le nez de la mère de Princesse Camion qui s’évanouit de douleur et oublie de descendre sa fille dans le puits. Le lendemain, la princesse est quand même plongée dans l’eau, comme d’habitude. Elle est alors transformée en femme-baleine, aspirée sous terre et faite prisonnière de la fée Marmotte. Le prince Zirphil devra surmonter de nombreux obstacles pour libérer Princesse Camion et connaître avec elle la vie promise par la fée Lumineuse.